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Interview : Jon Cassar (Réalisateur)
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Après avoir roulé sa bosse pendant près de dix ans sur différentes séries TV (Profiler, La Femme Nikita, Mutant X, Dead Zone), Jon Cassar est aujourd’hui l’un des piliers de 24 où il occupe non seulement la fonction de réalisateur (il compte à son actif 42 des 120 épisodes existants au terme de la cinquième saison) mais aussi celle de producteur exécutif. Une double casquette qui fait de lui l’une des personnes les plus au fait des tenants et aboutissants de la série.
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L’occasion était donc trop belle, lors de sa venue au festival TV de Monte-Carlo en juin dernier, d’évoquer cette série phare de long en large.
NB : Cet entretien contient quelques informations relatives aux saisons 4, 5 et 6 de 24 que certains préfèreront peut-être apprendre après avoir découvert les épisodes en question.
Vous attendiez-vous à un tel succès pour la série ?
Non. Tout du moins pas à un succès aussi important. Je connaissais Joel Surnow et Robert Cochran, les créateurs de 24, depuis l’époque où nous avions travaillé ensemble sur la série La Femme Nikita, et après avoir réalisé deux épisodes de la première saison de 24, je n’ai véritablement intégré l’équipe à part entière qu’à partir de la deuxième saison. Le plus surprenant, c’est d’avoir obtenu les meilleures audiences avec la cinquième saison, ce qui est plutôt rare car aux États-Unis, les audiences ont plutôt tendance à décroître au fil des ans et non à progresser comme dans notre cas.
Le problème du renouvellement des intrigues se pose aussi en permanence ?
Alors que nous préparions la deuxième saison, tout le monde nous disait : « La première saison était géniale mais vous ne pourrez jamais refaire le même coup ». Cette remarque, nous y avons désormais droit tous les ans, ce à quoi nous répondons systématiquement : « Vous avez tout à fait raison, on y arrivera pas » (rires). Et nous prenons alors une toute nouvelle direction. C’est d’ailleurs la particularité de notre show par rapport à des séries telles qu’Urgences ou FBI : Portés disparus où vous appliquez le même schéma encore et encore. Avec 24, nous ne cherchons pas à réappliquer la même formule, à chaque nouvelle saison nous partons d’un script et de personnages différents et je crois que c’est cette fraîcheur perpétuellement renouvelée qui plaît.
Les scénarios sont très souvent en phase avec l’actualité, est-ce volontaire ?
Ils nous arrivent même d’être en avance sur elle. Le meilleur exemple est celui de la saison 2 (diffusée à partir d’octobre 2002 outre-atlantique, NDR) dans laquelle les États-Unis étaient sur le point d’entrer en guerre. Et lorsque la guerre en Iraq a débuté (en mars 2003, NDR), beaucoup de gens nous ont reproché de copier l’actualité alors qu’en fait, nous avions imaginé cette histoire 10 mois plus tôt. Tout ceci est surtout à mettre au crédit des scénaristes qui se documentent énormément sur l’actualité et obligatoirement cette peur du terrorisme se ressent dans les scripts. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, Jack essayait à chaque fois de déjouer des tentatives d’attentats tandis que l’une des idées pour la saison 6, bien que rien ne soit encore officiel, serait de débuter alors que de telles attaques ont déjà eu lieu. Quelle serait la réaction si 10 bombes nucléaires explosaient coup sur coup aux quatre coins du pays ? D’un autre côté, la seule pensée que nos scénarios puissent donner de telles idées à certaines personnes dans la réalité nous effraient littéralement. Depuis 3 ou 4 ans maintenant, nous titillons le concept d’un kamikaze à la bombe nucléaire mais à chaque fois, nous finissons par nous dire (il prend un visage grimaçant) : « Ouh, non, laissons tomber cette idée ». Paradoxalement, la popularité mondiale du show est aussi liée à cette peur individuelle présente dans tous les pays, et pas uniquement aux États-Unis.
Howard Gordon (l’un des scénaristes et producteurs de la série, NDR) évoque aussi très souvent les longs-métrages des années 70 comme référence, tel que Les 3 jours du condor.
C’est très intéressant car quelqu’un d’autre évoquait Alfred Hitchcock aujourd’hui. Je n’y avais jamais pensé sous cet angle mais nous fonctionnons effectivement comme ces films-là, à savoir que la mise en place du suspense est plus importante que l’action en elle-même.
Les séries TV sont souvent considérées comme un médium de scénaristes. Où se situe 24 par rapport à ce support ?
Cette affirmation reste majoritairement vraie mais la tendance évolue. De nombreux shows fonctionnent sur un principe immuable qui consiste à écrire puis, lorsque ça ne colle pas au moment du tournage, se dire : « Tant pis, on tourne quand même ». Avec des shows comme le notre, nous ne pouvons procéder ainsi. Parfois, au moment du tournage, une scène ressemble à s’y méprendre à une autre de la semaine précédente et l’on se dit alors : « Il faut trouver autre chose ». C’est ce qu’il y a d’extraordinaire avec 24, de pouvoir disposer, jusqu’à un certain niveau, de cette souplesse nous permettant de modifier les scripts à même le sol au moment du tournage. Et selon moi, l’un des succès du show vient précisément de cette flexibilité dont nous disposons.
Aujourd’hui les spoilers sont partout sur internet. Y a-t-il des mesures préventives pour lutter contre cela, comme par exemple menacer les acteurs s’ils divulguent quoi que ce soit ?
(rires). Les premières années, nous avions pris certaines mesures en effet tel que rédiger les scénarios sur papier rouge non photocopiable ou encore filmer deux versions différentes du cliffhanger final de la deuxième saison avec la tentative d’assassinat sur le Président David Palmer. Mais désormais, internet est partout et c’est un géant contre lequel nous ne pouvons lutter. Alors nous avons laissé tomber en pensant que les vrais fans qui souhaitent préserver tout l’effet de surprise n’iront pas lire ces spoilers. Ma femme qui est une grande fan du show m’interdit d’ailleurs de dire quoi que ce soit (rires).
Vous réalisez environ la moitié des épisodes chaque saison.
Pas tout à fait, j’en réalise 10 sur les 24.
Pourquoi autant et comment choisissez-vous lesquels réaliser ?
Je réalise systématiquement le premier et le dernier épisode, ce qui revient en quelque sorte à donner naissance aux nouveaux personnages. Ensuite, j’éprouve un malin plaisir à les tuer (rires), comme par exemple Reiko Aylesworth qui interprète Michelle Dessler. J’ai filmé son premier et son dernier jour, ce qui représente une sorte d’accomplissement en tant que réalisateur. Quant au nombre élevé d’épisodes que je tourne, 24 fait partie de ces nouveaux shows qui fonctionnent sur la continuité, tel un gigantesque film. Et vous n’iriez pas demander à un réalisateur de filmer la première heure d’un long-métrage puis à un autre de filmer la deuxième heure. Depuis toujours, de nombreux metteurs en scène passent d’une série à une autre, réalisant un épisode de FBI : Portés diparus par ci, un d’À la Maison Blanche par là, alors qu’en fait, ils en savent souvent beaucoup moins que les personnes qui travaillent sur la série depuis des années. Et pourtant, ils débarquent et sont les patrons durant un épisode. C’est pour cette raison que la notion de réalisateur – producteur a fait son apparition, permettant ainsi de superviser les épisodes que l’intéressé ne réalise pas lui-même. Quand un nouveau metteur en scène débarque sur 24, je ne suis pas là pour lui dire quoi faire mais pour lui délimiter le cadre du show, les dangers à éviter, lui indiquer comment travailler avec tel ou tel comédien, etc. afin d’assurer l’homogénéité des 24 épisodes et ne pas se retrouver avec certains qui soient excellents et d’autres qui soient complètement nuls.
Et comment s’est passé la reprise du flambeau après le départ de Stephen Hopkins qui avait donné le ton de la série dans la première saison (il avait réalisé 12 des 24 épisodes, NDR) ?
C’était très intéressant, un peu comme devoir élever un enfant que son précédent père avait mis au monde avant de partir.
Les tournages sont-ils aussi frénétiques que les péripéties de Jack dans la série ?
En permanence. Si le spectateur a l’impression de regarder un film très long, nous n’en restons pas moins une série télé. Nous bouclons deux épisodes en 15 jours, soit 1h30 de métrage là où les films disposent souvent de 2 ou 3 mois pour aboutir à la même durée. Les scénaristes imaginent toujours des choses énormes qui sont généralement irréalisables avec le temps et les moyens impartis mais nous sommes devenus des spécialistes pour dire systématiquement « oui » à leurs lubies les plus folles (rires) car nous disposons d’équipes parfaitement rôdées, ce qui nous permet de minimiser le nombre de prises et d’excéder très rarement les 12h de tournage par jour.
Y a-t-il des contraintes budgétaires sur la série ?
Pas tant que cela. Le plus contraignant est surtout lié au concept en lui-même qui consiste à raconter une histoire sur 24 heures d’affilées alors que le tournage des épisodes s’étale en réalité d’octobre à avril. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une ville comme Los Angeles s’y prête à la perfection contrairement au Canada ou bien à New York par exemple où les conditions climatiques sont bien trop changeantes.
En parlant de long-métrage, est-ce vous qui allé réaliser 24 le film ?
Rien n’est moins sûr mais pour l’instant je suis le metteur en scène potentiel, oui.
Y a-t-il déjà d’autres personnes impliquées dans le projet ? Kim Raver nous déclarait qu’elle adorerait en faire partie ?
Si l’histoire s’y prête, elle sera de l’aventure, oui. Notre but a toujours été de servir l’histoire avant tout. C’est pour cette raison que des gens meurent dans 24, parce que leur disparition est au service du scénario. Les téléspectateurs sont souvent mécontents de telles décisions mais croyez-moi, nous sommes les premiers bouleversés lorsqu’il faut se débarrasser d’un personnage (rires). Quant au film, l’idée est d’impliquer l’ensemble de l’équipe qui travaille déjà sur la série. Nous ne voulons surtout pas d’un réalisateur qui n’a jamais pris part au show. Pour les personnages, nous ignorions encore lesquels feront parties de l’histoire. Le seul que je peux vous confirmer à 100% pour l’instant, c’est Kiefer Sutherland (rires).
Pour en revenir à la série, y aura-t-il un nouvel intermédiaire d’une dizaine de minutes pour faire la jonction entre les saisons 5 et 6 ?
Une fois de plus, rien n’est encore sûr à 100% mais c’est prévu, notamment pour résoudre l’histoire autour des chinois car s’il fallait faire revenir Jack de Chine, ça nous prendrait au moins 15h en avion et ce serait plutôt chiant non (rires) ? Et puis, je dois vous avouer que depuis l’avènement du DVD, nous prenons énormément de plaisir à créer ces petits segments intermédiaires.
Qu’en est-il de la rumeur selon laquelle la sixième saison pourrait être tournée à New York ?
J’ignore complètement d’où est partie cette rumeur car dans deux semaines, nous débutons les préparatifs à Los Angeles où sera tournée cette sixième saison (cet entretien a eu lieu le vendredi 30 juin 2006, NDR). Je ne peux rien affirmer pour l’instant car les scénaristes planchent actuellement sur l’histoire mais si certains évènements devaient avoir lieu à New York, nous singerions le nécessaire à Los Angeles.
Propos recueillis au cours du 46ème festival de télévision de Monte-Carlo en juin 2006.
Source : www.ecranlarge.com
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